jeudi 12 avril 2012

Formation religieuse


Les textes de cette page sont tous extraits du livre "Questions autour de l'homme réel" de François Ader

Au collège

Que devenait mon être dans ce Collège où nous allions tous à la Messe chaque jour, en rangs, où l'on distribuait en étude, chaque semaine, les bulletins de confession, où l'année s'ouvrait par une « retraite » obligatoire, où le minutieux organigramme des classes et des études – ne faisant aucune place, aucune, à l'expérience personnelle, au choix – informait les jours et les nuits du pensionnaire, emportant dans le même rythme, au mépris total des libertés, les manifestations de la vie religieuse ? Eh bien j'adhérais… Je tâchais, à travers toutes ces balises, de suivre le parcours en y mettant le plus d'amour possible. L'idée ne me serait pas venue de le contester. Et puis je n'avais que cette liberté-là. Du moins au Collège.

Un surveillant … impressionnant de majesté

Notre surveillant devait être âgé d'environ quarante cinq ans. Il avait l'allure, la carrure, le prestige des sénateurs romains en toge que l'on voyait dans les livres d'histoire. Lorsqu'il était sur son estrade d'étude, et plus encore en haut des dix marches qui dominaient la cour de récréation – face alors à nous, bambins de sixième à quatrième strictement alignés sur deux files parfaites – et que retentissait son deuxième coup de sifflet, celui qui décidait immédiatement du silence le plus absolu, il était impressionnant de majesté. Dois-je dire qu'il jouissait d'une autorité totale, inatteignable, et que pas un de mes camarades n'aurait osé devant lui, non pas même chahuter, mais se permettre seulement, pendant un temps, la plus petite incartade…

Pigeon, pigeonné moi-même

Ce cher abbé L, homme pieux, intérieur, ami de Jésus, mais absent du Monde, … Ce très cher Père homme de cœur, esprit sans aucun doute évangélique, mais grand pourvoyeur de « vocations » – c'était l'époque ! – et qui, sur la photographie des « retraitants de fin d'études », m'a près de lui, me serre le bras, comme sa prise, comme sa conquête… Mais je suis tenté d'être injuste, je le sais, envers ces deux hommes, car que pouvions-nous faire d'autre alors, eux et moi ! J'étais, pour leur zèle, un client de rêve ! Même pas un « pigeon », puisque je m'étais déjà, d'avance, pigeonné moi-même…

Dès ma seconde année de noviciat

Premiers voeux de novices Jésuites
Je suis atteint de forts maux de tête, et d'une sorte de mal intime. J'ai dix-neuf ans. Je prononce toutefois mes vœux. À ma seconde année de préparation de licence – j'ai vingt et un ans – le mal s'amplifie : je ne peux plus étudier que deux ou trois heures par jour, j'erre à ne rien faire, je vis des mois de malaise et de tristesse, que j'impute à des difficultés digestives.

Noviciat, le chant des fœtus

Au Noviciat, tout était clair, limpide : nous devions tout recevoir, tout, de la Compagnie, qui nous traiterait toujours avec bonté. … Nous n'aurions donc pas, plus tard, à vouloir « faire nous-mêmes nos « statuts » (nos choix, nos emplois) : non, il faudrait les recevoir, dans l'indifférence, dans l'obéissance, de la Compagnie. Nous n'aurions pas non plus à chercher ailleurs nos amis, nos distractions, nos joies : nous les trouverions dans la Compagnie. Que de mises en garde, alors, contre « l'extérieur » ! Et c'est vrai que la Compagnie se conduisait, et se conduit toujours d'ailleurs, comme une « mère » parfaite, exemplaire, et que nous pouvions chanter alors, à la fin des repas de fête : « … Que dans ton sein on vit heureux ! » Ce que d'aucuns, des impertinents, appelleraient plus tard – pas alors – « le chant des fœtus »…

Stupéfait… Choqué même

Il nous faisait des conférences d'après le livre des usages du noviciat, qu'il devait lire, puis commenter. « Des repas sont une nécessité douloureuse, certes, lui arriva-t-il de lire un jour dans ce manuel, mais qui peut quand même être sanctifiée… » Il y eut un temps de silence, puis ces simples mots, avec un geste élégant de la main qui lui était familier : « Vous comprenez bien, chers frères, que je ne prends nullement à mon compte cette affirmation stupide… » Je fus stupéfait. Stupéfait… Choqué même. Ce langage-là, c'était tellement aux antipodes de ce que nous entendions d'habitude ! Je suis très triste, maintenant, d'avoir alors été si stupéfait.

Discipline, il faut que ça gratte

Comment pouvait-il y avoir à la fois tant d'amour pour Jésus et tant de mépris pour la vie, tant d'initiation juste à la prière, à la contemplation, et si peu de confiance envers les êtres… Car s'il y avait toutes ces minuties, tous ces morcellements, c'était prétendument pour fonder des bases – de détachement, d'indifférence – des bases solides qui ne pourraient être pensait-on, qu'effritées et affadies. « Il faut que ça gratte », disait le compagnon du Maître des Novices, si bon cœur au demeurant, pour justifier ses pénitences, ses sévérités parfois odieuses.

Deux ans dans un collège

A la fin de ces quatre années de vie religieuse, je ne vais pas suivre le cours normal des études. Je passe deux ans dans un collège, avec des responsabilités, et l'incomparable soutien d'un autre ami. Je pars alors pour trois années de philosophie. Je reviens deux ans dans un autre collège. Puis ce sont mes quatre années de théologie. J'ai de plus en plus de peine, au cours de ces années d'études, à fixer mon attention, et je m'installe surtout dans une sorte de dédoublement intérieur – je vis comme sur deux plans – dont je m'imagine qu'il est le lot de tous et dont je ne supporte les effets éprouvants que grâce aux joies de mes responsabilités artistiques d'alors, qui sont ma prise d'oxygène, et qui vont avoir, dans ma vie, de plus en plus de place.

Deux thérapies successives

Deux interventions successives me font prendre conscience de ce qu'il y a d'étrange dans ce que j'éprouve. Après la première, trois années de « méthode Vittoz », avant d'être ordonné prêtre, m'apportent une certaine détente, mais ne touchent en rien les sources de mon malaise. Après la seconde, deux ans d'une psychothérapie analytique profonde – je suis sérieusement délabré lorsque je l’entreprends – me permettent au contraire, ensuite, de m'engager dans une vie active, intense, non sans que subsistent des symptômes tenaces, et ravageurs, de division intérieure. 



Les textes de cette page sont tous extraits du livre "Questions autour de l'homme réel" de François Ader

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