jeudi 12 avril 2012

Vie religieuse


Voir aussi :La Compagnie de JésusDes sacrementsVie religieuse
Les textes de cette page sont tous extraits du livre "Questions autour de l'homme réel" de François Ader

Religion masochiste

Je ne veux plus de cette religion masochiste dont les relents, quoiqu'on dise et quoi que on pense, traînent encore, empestant des routes assez chargées déjà de tristesses. Que l'on regarde les hommes, d'abord, les hommes et leurs détresses. Que l'on dépasse les apparences. Que l'on regarde aux cœurs. Et l'on verra s'ils n'ont pas besoin de lueurs, avant tout, d'espoir, et pas d'abord d'être morigénés.

Guérison de « l'état religieux »

Si j'en ai contre « l'état religieux », si j'ai peur de ces maisons linéaires, si je redoute ces vies à part, et soumises, si je crains ce cadrage des élans et des appels, c'est que cette atmosphère est pour moi le symbole, et la survivance aussi, de cet air raréfié qui m'a fait craintif, impuissant, timoré. Ce sont là des fantasmes, je le sais. Je le sais très bien. Mais c'est ainsi. Revenir à cette « vie » d'autrefois – d'avant que je ne m'enfante quelque peu, quelque peu seulement, dans les tâches et dans les liens de trois décades – je le ressentirais comme un plongeon dans une eau stagnante, ou bien encore comme un retour sur les lieux mêmes d'une épidémie, d'une contagion dont je ne guéris qu'à grand peine, et lentement, lentement, si lentement.

La vie religieuse

J'évoque là, je le sais, un problème difficile, difficile, et surtout complexe. La « vie religieuse » est d'abord élan, « milieu » favorable à cette poussée, et c'est à l'aune, seulement, de ce jaillissement et de cet embrasement que peuvent s'évaluer les conduites ponctuelles, et leur sens. Il n'est pas possible de la réduire à la seule observance des « vœux de religion ». Mais ces repères plus visibles n'en restent pas moins pour l'Église instituée la balance où les vies se jaugent et pour beaucoup de croyants l'idéal à l'horizon de leurs existences. L'équivoque s'accroît lorsque l'observance, dans les consciences, n'est plus « porteuse », mais obstacle, et qu'elle éteint les flammes, celles qui brûlent encore, au lieu d'attiser le feu. Il y a de toute façon nécessité de voir clair, et de chercher – oui, de chercher – par où passe vraiment la Vie : où naît-elle, où meurt-elle, où s'étiole-t-elle ?

Se faire engueuler au nom d’une religion d’amour

Je ne récuse pas le langage du « mieux ». Non. Ni l'appel à ressembler, par davantage d'amour, au Père des Cieux. Non plus. Mais j'en ai – oui, j'en ai – contre ce langage institutionnel, de perfection, qui aboutit si souvent à détourner le regard, et l'admiration, de ce que la Vie fait déjà, d'elle-même, dans nos vies. Regarder, voir, admirer, s'étonner, s'enchanter. « Pourquoi faut-il donc qu'à l'Église, chaque dimanche, on se fasse engau nom d'une religion d'amour », me disait un de mes amis lorsqu'il fréquentait encore chaque semaine, il y a de cela longtemps, ce lieu de reproches… « L'état religieux », qui se veut un appel, je le ressens, oui, dans ses ruptures d'avec les besoins vitaux, comme un reproche à l'existence, comme un refus de la voir, en tout cas, dans ce qu'elle a d'immense, et de divin déjà.

Dieu un maître dur et sévère

Et puis, quelques jours après, je priais au fond d'une Église, appelant à l'aide comme d'habitude, criant vers Dieu, demandant de voir clair, répétant avec espoir mes phrases favorites – « qui demande reçoit, qui cherche trouve, à qui frappe on ouvre » – mais c'était au fond, je m'en rendis compte alors, dans une attente anxieuse, et dépourvue d'abandon, fort peu conforme à la confiance qui me fait entrer, pour appeler « au secours », dans les Églises et chapelles de mon quartier. Et j'eus alors un trait de lumière… Je réalisai que l'image de Dieu, dans le tréfonds de moi-même – et quoi qu'il en soit de mes paroles, de mes convictions, de ce que je crois – c'était celle d'un adversaire, d'un grand méchant, d'un tortionnaire même, tout prêt à punir, à « coincer ». D'un malfaisant qu'il faut apaiser, se concilier. « D'un maître dur et sévère ».

Prêtrise

Je touche là, je le sais, une question très difficile, et je ne suis pas armé pour donner à ce que je ressens des contours suffisamment fondés. Je vais donc m'en tenir à ce que je ressens. Ce sacerdoce, j'en suis bien d'accord, nous le recevons d'une Église. À deux titres. D'abord par l'Ordination de l'Évêque. Puis parce que les hommes, et le corps des croyants, font du prêtre en nous. Mais ce don, cette force, ils ne planent pas en l'air, à charge pour ceux qui les reçoivent d'avoir sans cesse le regard ailleurs. Ils s'enfouissent dans un sol, dans une terre qui a déjà ses sucs, des sucs eux aussi qui disent Dieu, et c'est ce mélange, cette symbiose, qui vont un jour – ou jamais – devenir explosifs, et charger l'atmosphère, alors, d'un souffle à chaque fois neuf.

Dieu c’est pour moi

Je me suis donc interrogé, de nouveau, sur mes lueurs. Je me sens d'une caravane, et dans un compagnonnage. Avec tous, mais avec les plus proches d'abord. Et d'abord encore avec moi-même. Cette marche ensemble, elle est faite, à chaque pas, de multiples liens, porteurs chacun d'une force. Oui, multiples, et à chaque pas. Le passé est en effet là, tout entier, chaque fois, dans l'instant, et déjà l'avenir aussi… La substance de ces entrelacs, le pain de ces échanges, voilà Dieu pour moi. Si Dieu est… Un océan tout entier dans chaque goutte d'eau. Infiniment plus que le peu qu'on en voit. Et peut-être même pas ce qu'on croit en apercevoir. Mais ce qui se passe, ce qui se vit des uns aux autres, c'est Lui, c'est bien Lui. Sa respiration, son souffle, « le souffle de vie », c'est l'air même de nos poumons, et bien plus, infiniment plus. Cette Présence, je désire en vivre. C'est elle, pour moi, sous les apparences du pain et du vin. « L'Amour, la plus universelle, la plus formidable et la plus mystérieuse des énergies cosmiques »

C’est par les hommes que me vient Dieu

C'est alors dans mon cœur, dans le mien, qu'un choc s'est produit, qu'une émotion s'est comme emparée de mon être même, et de tout mon corps. M'entendre dire avec cette évidence, en ce matin de Pâques, par ce neveu que j'aime, et qui plus est sur la route, en plein vent, ces paroles qui fondent l'Univers, m'a fait éclater le cœur, et j'ai mieux compris, quelque peu du moins, la clef de mes bonheurs. C'est par les hommes – par les hommes : et par les femmes ! – que me vient Dieu. C'est sur leurs chemins, directs ou de traverse, que m'apparaît une Présence. C'est auprès d'eux, d'abord, qu'il arrive à mon cœur d'être « brûlant » d'autre chose et de me percevoir, en même temps qu'amoureux d'eux, amoureux d'un Autre : de Quelqu'un.

Jésus, présence humaine

c'est toute l'histoire humaine qui la fait apparaître – par toutes ces rencontres, foisonnantes de vie, de chaleur, qui sont la trame des évangiles : Jésus et les malades, Jésus et Zachée, Jésus et ses disciples, Jésus et Marie-Madeleine, Jésus et le jeune homme, Jésus et Lazare, Jésus et les enfants, Jésus et le paralytique, Jésus et les foules, Jésus et Nicodème, Jésus et la Samaritaine… Autant d'approches de Dieu, autant, en réplique, et en connivence, de « présences » humaines.

Symboles

Symbole, l'humanité même de Jésus. Symbole, son corps. Symboles, ses gestes. Symbole, sa naissance, sa mort, puis son rejaillissement. Symboles, ses paraboles dont certaines, si déroutantes, nous laissent tout pantois, et nous font pressentir en Dieu le « Tout Autre » en face duquel notre connaissance s'épanouit en inconnaissance, mais en inconnaissance qui nous désigne un mystère bien plus large que ce que nous pouvions imaginer. Symboles sur ma table, l'autre jour, ce pain, ce vin, ces gestes, cette coupe et ce calice qui sont pour moi, Bénédicte, à travers ta mère et ta grand-mère, une présence de tes oncles éloignés ou disparus : les deux Philippes. Symboles dont l'habitude que nous en avons masque parfois à nos yeux, et relativise en quelque sorte, l'insondable mystère dont ils sont le signe.

Parce que l'espace, alors, s'élargissait 

Mais peut-être dois-je ici donner la première place, dans ce « feu vert » qui me permit d'écrire, aux pensées d'Eliade, de Baudelaire, de Leroy Ladurie. Parce que ces pensées-là « venaient d'ailleurs », et pas de l'institution dont je suis le mandataire. Parce que « Dieu », grâce à elles, ne m'apparaissait plus enfermé, rétréci, parqué dans la clôture de cette institution qui donne si souvent l'impression de se l'être approprié. Parce que l'espace, alors, s'élargissait : bien au-delà de ces murs, de ces rites, de ces langages où l'Église nous dit d'entrer, chaque dimanche, si nous voulons que s'éclaire l'énigme de notre existence… Ce qu'il y a de ma part, dans ce « non » très ferme aux « choses religieuses », c'est un refus de cette institution dont je n'arrive pas encore, à mon âge, à les distinguer.

Concile

J'ai été saisi, oui, saisi, de voir tant de ces hommes, venus de pays engagés dans des guerres, extérieures ou fratricides, ou bien encore assujettis à des dictatures, réclamer de l'Église qu'elle soit appelante, « prophétique » : qu'elle tienne un langage de vérité sur les injustices, sur « la gravité des blessures d'un monde cassé », qu'elle agisse pour la paix, qu'elle participe aux souffrances de l'humanité, et qu'en face des conflits, des guerres, des divisions, des exploitations, des haines, elle apparaisse vigilante, réconciliatrice. Vigilante, aussi, face aux évolutions d'un monde qui s'éclate, où les couples se disloquent, où les amours se cherchent, et aussi la liberté d'être, où semble également s'affadir le goût de vivre, et de donner la vie… Les analyses ont été rudes, cruelles.

Jésus, pour moi

Le Jésus que je vois alors, en un éclair, c'est celui qui s'approche des foules. Qui guérit le paralytique. Qui rend vivante la main sèche. Qui « réveille » la petite fille de Jaïre, et Lazare, et le fils de la veuve. Qui pardonne à la pécheresse, à la femme adultère. Qui brise l'étau des rapports factices. Qui renverse les tables des changeurs, la prétention des lévites et des prêtres, et la Loi lorsqu'elle ignore l'homme. Celui qui, sur les hommes, a fait passer, pour un temps bref, un souffle venu d'en Haut, de très haut, d'un cœur large, qui sait ce qu'il y a dans l'homme, et qui parle de l'eau vive, par exemple, et du don de Dieu, à une femme qui a eu cinq maris, sans paraître, sur l'heure, attacher lui-même trop d'importance à ce détail…

Bonheur

J'ai été heureux – oui, profondément heureux – de vivre Noël avec ces enfants, ces hommes et ces femmes. Heureux de cette foule en prière, et contente. Heureux de faire, avec toute l'intensité dont je suis capable, les gestes de Jésus, et de les accomplir avec le maximum de recueillement. …. Heureux de célébrer avec des familiers que j'aime. Heureux de privilégier la prière, le silence. Heureux de chanter aussi. Et puis heureux de répondre aux questions de ces enfants, de dire là que Dieu nous aime, de parler de Jésus fait homme, et d'attirer l'attention de tous sur eux-mêmes, sur leur vie, sur leur importance, sur le respect qu'ils se doivent puisque justement Dieu s'est fait homme… Heureux : oui, heureux.

Compassion

Alors voici le mien quand je regarde, à travers les évangiles, la forme humaine de Jésus. Je vois avant tout une immense, une incommensurable compassion. Et puis je vois cet amour, si bon pour nos faiblesses, je le vois bousculer d'un grand vent nos routines, nos barrières, nos murailles, nos défenses… Ce n'est pas pour nous malmener, comme on peut être tenté de le croire. C'est pour nous sortir de nos ornières, de nos tanières. Pour nous livrer nous-mêmes, à notre tour, au souffle de la compassion. À ce souffle qui fait basculer les façades et qui nous ouvre sur l'intérieur des choses, sur le cœur des hommes, le nôtre d'abord, et celui des autres… « Alors, il se fit un grand vent et tous furent remplis du Saint-Esprit ».


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